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La justice est-elle toujours juste, au double sens que peut avoir cet adjectif ? L’interrogation court dans tout ce Festival d’Avignon, présente notamment à travers les spectacles de Tiago Rodrigues, Hécube, pas Hécube, et de Baptiste Amann, Lieux communs. La metteuse en scène Lorraine de Sagazan, elle, la place au cœur même de Léviathan, sa nouvelle création, qui a emballé le public lors de la première, lundi 15 juillet.
Le théâtre et la justice ont partie liée depuis bien longtemps, puisque c’est dans la tragédie grecque, il y a 2 500 ans, que s’est inventée l’idée d’une organisation humaine collective de jugement, pour dépasser les vengeances individuelles qui entraînent une violence sans fin. Mais qu’en est-il quand cette justice devient elle-même porteuse de violence ?
Voilà à quoi s’attaque Lorraine de Sagazan. Avec son auteur complice, Guillaume Poix, la metteuse en scène s’est immergée, pendant plusieurs semaines, dans les audiences en comparution immédiate de la vingt-troisième chambre du tribunal de Paris. La comparution immédiate, procédure simplifiée et expéditive qui dure moins de trente minutes, s’apparente largement, selon les magistrats eux-mêmes, à de l’abattage. « De plus en plus répandue, elle favorise largement l’incarcération, puisque 70 % des peines prononcées sont des peines de prison ferme », note Lorraine de Sagazan, alors même qu’il s’agit le plus souvent de délits mineurs.
Pour la metteuse en scène, il va s’agir de donner à voir l’absurdité de ce système, à travers trois cas particulièrement poignants qui montrent comment la mâchoire judiciaire se referme sur des êtres déjà en marge. S’il repose sur un solide travail documentaire, tout l’intérêt du spectacle de Lorraine de Sagazan réside pourtant dans ses choix formels, qui l’éloignent résolument de tout réalisme sociologique.
C’est au contraire par une forme d’hyperréalisme, frôlant même le fantastique par moments, qu’elle nous plonge dans ce qui se joue ici. Dans le superbe décor en forme de chapiteau, en toile orange légère comme un souffle, imaginé par la scénographe Anouk Maugein, on est d’emblée happé par un sentiment d’inquiétante étrangeté face aux êtres que l’on découvre. Les magistrats et les avocats ont le visage recouvert de masques qui épousent la forme de leurs visages mais en gomment toute expression, tandis que les prévenus ont la figure camouflée par un tissu légèrement translucide, comme celui des bas. La puissance de saisissement est réelle, de ces visages figés dans leur masque social, ou floutés, brouillés, pour ceux que la société invisibilise.
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